Pouvez-vous nous présenter Claire, l'héroïne du film Enorme que vous interprétez ?
Claire est une pianiste concertiste, très rigoureuse, pas exubérante, qui consacre sa vie à sa musique. On ne la verra jamais aller au restaurant, sortir en famille ou entre amis. Sa vie est remplie par sa discipline et par son mari qui est à la fois son conjoint et son agent. Il n'y a personne d'autre autour. Elle ne veut pas d'enfant. N'y pense même pas car elle ne voit pas quelle place elle pourrait lui accorder...
Comment décririez-vous ce couple ?
Aussi bizarre que chaque duo, chaque relation, chaque tandem amoureux. Plus les couples paraissent normaux, plus ils sont tordus. A l'opposé des clichés, l'homme incarné par Jonathan Cohen prend en charge le quotidien pour que sa compagne puisse exercer son art. Il est son impresario, son interprète, son partenaire, son amant, sa femme de ménage, sa cuisinière... Ils ont une vie riche et débridée calquée sur les désirs de Claire.
Le personnage de Frédéric est aussi la "chose sexuelle" de sa femme… Où placez-vous le curseur de l'érotisme devant la caméra ?
Je n'ai pas de règles. En tant que spectatrice, j'aime les scènes de sexe belles et crédibles. Elles me font rêver ou me rappellent de bons moments. Le cinéma est fait pour éveiller les émotions, créer du désir, des fantasmes... La sexualité est l'endroit où l'on peut raconter les choses différemment, montrer d'autres facettes de l'histoire...
"Pour être la grande actrice que j'aspire à devenir, il faut que je m'abandonne davantage"
La crudité des corps et des mots, est-ce cela qui vous a séduite dans l'écriture de Sophie Letourneur ?
J'apprécie la trivialité quand il y a une pensée derrière. J'aime Gérard Depardieu et Hervé Guibert. Je trouve que lyrisme et prosaïsme se mélangent très bien.
Vous avez le sens de l'humour et de la dérision. La fantaisie doit-elle l'emporter sur tout ?
Je lutte contre ma volonté de contrôler ce que je suis, qui je suis… Je travaille à avoir l'air distancié… Pour être la grande actrice que j'aspire à devenir, il faut que je m'abandonne davantage. Malheureusement, je suis beaucoup moins détendue que ce que l'on pourrait penser...
Où puisez-vous votre énergie ?
Je suis très bien entourée. J'ai de nombreux amis, intelligents, courageux. Je me ressource auprès d'eux. Et dans les rôles, dans les films… Jouer me transcende en répondant à mon désir de m'échapper constamment.
"Je fais ce métier par peur de l'ennui et par besoin de fuir une réalité qui est très triste..."
Le regard des autres est-il primordial pour vous ?
Je reconnais qu'il y a un vrai côté exhibitionniste. J'aime quand ça tourne, j'aime être filmée par la caméra, observée par les gens qui sont autour, par le metteur en scène… Et pourtant j'ai l'impression de conserver une certaine pudeur. Je fais ce métier principalement par peur de l'ennui et par besoin de fuir une réalité qui est très triste...
Comment composez-vous entre mélancolie et statut d'actrice-star ?
La reconnaissance donne confiance en soi, mais la notoriété isole. Être identifiée comme "Marina Foïs" peut constituer un frein dans la spontanéité de certains réactions... mais c'est un épiphénomène. Je ressens surtout un plaisir immense à être considérée. J'exerce mon activité au delà de mes espérances. La variété de ce que l'on me propose est hallucinante !
Dans Enorme, votre ventre hypertrophié fait de vous une baleine. Est-ce qu'il n'y a pas plus déformant, plus violent, qu'être enceinte ?
La grossesse n'est pas la chose la plus épanouissante du monde, mais je peux vous citer pleins de choses plus violentes. Dans le film, c'est une grossesse non désirée. Elle l'apprend trop tard pour avorter. Voilà l'ultime brutalité: que quelqu'un prenne possession de votre corps, vous impose un enfant contre votre gré. A l'inverse, une grossesse souhaitée, aussi peu confortable soit-elle, n'est jamais une maltraitance. On sait pourquoi on le fait.
Le corps devient un instrument pendant la grossesse comme pendant la comédie...
Oui, mais de manière consentante. Pendant un tournage, je prête mon physique, ma silhouette, je livre mes yeux, une partie de mon cerveau. Le réalisateur en fait ce qu'il a envie. Je me dois d'être dans la performance.
En comparaison, ce qui est insupportable, c'est la survalorisation de la période de la grossesse, l'injonction de l'épanouissement, de la perfection, la mise en avant du côté sexy alors que c'est un parcours du combattant . Aujourd'hui, il y a des cours d'accouchements, des tutos allaitements, etc... Cela enlève une part de spontanéité.
Moi je n'ai rien fait de tout ça. Je me suis fait confiance pour créer un lien avec l'enfant toute seule et en dehors de toute contrainte d'excellence.
"Être mère, c'est une remise en question perpétuelle"
Devenir mère a-t-il été une évidence ?
Cette expérience est complètement dingue. C'est une forme d'amour très singulière, surprenante, joyeuse et drôle. Une des meilleures chances de ne pas s'ennuyer sur Terre. La vraie surprise vient des enfants qui ne sont jamais comme vous les avez imaginés. C'est une remise en question perpétuelle.
Eduquer des enfants vous a-t-il privé d'un droit à la folie ?
Au contraire ! Les enfants sont moins chiants et moins convenus que les adultes. Ils ont un sens innésde la justice, de l'équité, de la vérité. J'admire leur sauvagerie, leurs émotions pures et intactes, leurs dessins moches et colorés. Il me font marrer !
Certaines femmes refusent la maternité…
Je comprends tout à fait celles qui choisissent de ne pas avoir d'enfant. Se consacrer à eux, c'est aussi renoncer à soi, au temps, à l'autre, à une partie de la culture que l'on est obligé d'abandonner...
"Je suis une privilégiée"
Comment avez-vous traversé le confinement ?
Je suis une privilégiée. Mes conditions de vie ne sont pas précaires, mon appartement est grand et je n'avais pas d'inquiétude quant à mon avenir matériel. J'ai donc bien vécu ce moment, sans souffrance particulière. J'ai simplement profité de l'instant présent.
Qu'est-ce qui a le plus changé chez vous depuis le début de votre carrière ?
C'est l'âge, je vieillis ! Je n'ai pas le même rapport aux choses. A 20 ans, on a plein de cases à remplir. On doit rendre des comptes vis à vis de ses parents, de la société, on doit s'assurer un avenir… A 50 ans, je suis beaucoup plus tranquille, plus libre qu'avant. Je n'ai plus à faire autant mes preuves ou à rentrer dans une catégorie.
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